Chirurgien-dentiste et collaboration libérale : la clause de non-concurrence
Le contrat de collaboration libérale est particulièrement apprécié par notre profession. Une récente enquête menée par la Direction Générale des Entreprises le montre : 84% des chirurgiens-dentistes interrogés ont déjà conclu ce type de contrat (ou l’ont envisagé) et 81% le recommanderaient à leurs consœurs et confrères*.
Pour les chirurgiens-dentistes titulaires d’un cabinet, une collaboration permet de pallier une surcharge de travail, de se ménager du temps libre, de tester une potentielle future association ou encore de préparer leur succession.
Pour le collaborateur, ce contrat est un excellent moyen de démarrer son activité à moindre frais, d’exercer en son nom propre tout en conservant son indépendance, de développer sa propre clientèle en s’appuyant sur celle du titulaire , ou encore de s’appuyer sur l’expérience du titulaire pour compléter sa formation.
Si ce contrat présente un intérêt pour les deux parties, il est important toutefois d’attirer votre attention sur la clause de non-concurrence, appelée aussi « clause de non-réinstallation ». Cette clause a pour objectif de protéger le dentiste titulaire, contre la récupération par le collaborateur de sa patientèle (on parle alors de « détournement de clientèle ») ; mais aussi, de protéger le collaborateur, contre une impossibilité à exercer ou à conserver sa patientèle propre acquise pendant la durée du contrat.
1. Qu’est-ce que la clause de non-concurrence et quel est le risque encouru ?
2. Exercice ultérieur du collaborateur : ce que dit le Code
4. Clause de non-concurrence du dentiste collaborateur et contrepartie financière
Qu’est-ce que la clause de non-concurrence et quel est le risque encouru ?
Le contrat de collaboration permet au dentiste collaborateur de s’occuper de certains patients du titulaire et de développer sa propre patientèle (dans des conditions qui sont décrites dans le contrat de collaboration). En général, cette collaboration dure plusieurs mois ou années.
Lorsque le chirurgien-dentiste titulaire et le collaborateur souhaitent se séparer, qu’advient-il de la patientèle suivie par le collaborateur ? Cette question peut être source de litiges, car le titulaire souhaite légitimement préserver sa clientèle, quand le collaborateur, lui, désire bien évidemment conserver la clientèle qu’il a constituée durant sa collaboration.
Alors qu’appelle-t-on « détournement de clientèle » dans ce cas ? Car leurs deux points de vue semblent légitimes…
Selon l’Ordre national des chirurgiens-dentistes, le détournement de clientèle est une forme de concurrence déloyale laquelle « découle d’agissements fautifs et de manœuvres contraires à la loyauté voulue par les usages ou à des engagements pris en matière de concurrence, commis par un professionnel, une entreprise ou un salarié à l’égard d’un autre professionnel ou d’une entreprise qui en pâtit dans son activité économique ».
Pour que cet acte de concurrence déloyale soit avéré, il est nécessaire d’apporter la preuve qu’une faute a été commise (un détournement de clientèle par exemple, tel que décrit ci-dessus), d’un préjudice (il peut être d’ordre économique s’il y a une perte de chiffre d’affaires) et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Si la concurrence déloyale est avérée, la victime peut obtenir des dommages et intérêts, tenant compte du préjudice subi. Une clause de non-concurrence incluse dans le contrat de collaboration permettrait donc de prémunir le dentiste titulaire contre ce risque.
Exercice ultérieur du collaborateur : ce que dit le Code
Pour mieux comprendre ce qui constitue un détournement de clientèle et comment s’en protéger, il est utile de se reporter au Code de déontologie et à ce que recommande l’Ordre National des Chirurgiens-Dentistes en matière de clause de non-concurrence. Trois articles sont à considérer :
- Article R4127-262: « Le détournement ou la tentative de détournement de clientèle est interdit. »
- Article R4127-277: « Le chirurgien-dentiste ou l’étudiant en chirurgie dentaire qui a été remplaçant ou adjoint d’un chirurgien-dentiste pour une durée supérieure à trois mois consécutifs ne doit pas exercer avant l’expiration d’un délai de deux ans dans un poste où il puisse entrer en concurrence avec ce chirurgien-dentiste, sous réserve d’accord entre les parties contractantes ou, à défaut, d’autorisation du conseil départemental de l’Ordre donnée en fonction des besoins de la Santé P Toute clause qui aurait pour objet d’imposer une telle interdiction lorsque le remplacement ou l’assistanat est inférieur à trois mois serait contraire à la déontologie. »
- Article R4127-278: « Le chirurgien-dentiste ou toute société d’exercice en commun, quelle que soit sa forme, ne doit pas s’installer dans l’immeuble où exerce un confrère sans l’agrément de celui-ci ou, à défaut, sans l’autorisation du conseil départemental de l’Ordre. Il est interdit de s’installer à titre professionnel dans un local ou immeuble quitté par un confrère pendant les deux ans qui suivent son départ, sauf accord intervenu entre les deux praticiens intéressés ou, à défaut, autorisation du conseil départemental de l’Ordre. Les décisions du conseil départemental de l’Ordre ne peuvent être motivées que par les besoins de la Santé P Le silence gardé par le conseil départemental vaut autorisation tacite à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date de réception de la demande. »
Pour permettre aux chirurgiens-dentistes (titulaires ou collaborateurs) de se protéger, l’Ordre propose un modèle de contrat de collaboration libérale, auquel a été ajouté en 2010 un article 8 bis « Libre rétablissement du collaborateur » qui stipule que « le collaborateur conserve sa liberté de rétablissement » et « s’interdit tout acte de concurrence déloyale à la cessation de sa collaboration ».
Il est à signaler que ce modèle de contrat ne contient pas de clause de non-concurrence. D’ailleurs, le contenu des articles précédemment cités nous invite à nous interroger sur la nécessité d’une telle clause. Tout semble y être dit pour protéger le dentiste titulaire d’une quelconque dérive de son collaborateur.
Pourtant, une lecture plus attentive peut nous alerter sur l’ambiguïté de la phrase « ne doit pas exercer avant l’expiration d’un délai de deux ans dans un poste où il puisse entrer en concurrence avec ce chirurgien-dentiste ». Qu’appelle-t-on « un poste où il puisse entrer en concurrence » ? Aucune précision n’est fournie. Concrètement, cela n’offre pas une grande protection ni au titulaire, ni au collaborateur.
Afin de renforcer la protection qu’offre le contrat, l’Ordre recommande tout de même au collaborateur et au titulaire, de faire régulièrement l’inventaire de leur patientèle respective… sachant qu’est considéré comme client du titulaire, toute personne qui a été mise en relation avec le collaborateur par le titulaire pendant la durée du contrat de collaboration. Cette définition a une certaine limite également si l’on considère qu’en définitive, le patient peut tout à fait, s’il le souhaite, choisir le praticien qu’il préfère, sans que ni le titulaire, ni le collaborateur puisse l’en empêcher. En d’autres termes, un patient n’est pas la propriété d’un praticien.
Clause de non-concurrence : indispensable de la faire figurer dans le contrat du dentiste collaborateur
Vous l’aurez compris, si la clause de non-concurrence n’est pas obligatoire (nous l’avons vu, elle n’est pas mentionnée dans le modèle de contrat proposé par l’Ordre), il est vivement recommandé au dentiste titulaire de la faire figurer dans le contrat de collaboration libérale ; de plus, elle reste tout à fait légale.
En effet, la clause de non-concurrence est reconnue comme valide, du moment qu’elle est :
- Limitée dans le temps
Cette limite doit être raisonnable (généralement 2 à 5 ans) pour être considérée comme licite. Au-delà de cette durée, la clause peut être considérée comme abusive par un juge (et donc nulle). - Limitée dans l’espace
Il s’agit de la zone géographique dans laquelle le titulaire exerce. Il est nécessaire de la définir précisément, par exemple en indiquant les villes concernées, et en y adjoignant une carte délimitant le secteur couvert par la clause. - Proportionnée aux intérêts légitimes du titulaire et du collaborateur (c’est-à-dire, de nature à les protéger l’un et l’autre)
Par exemple, si un dentiste collaborateur se constitue une patientèle en propre pendant la durée de sa collaboration et que la clause de non-concurrence l’empêche de conserver cette patientèle (durée trop longue ou secteur d’interdiction trop étendu), cela porte atteinte à son intérêt légitime.
Si ces conditions ne sont pas réunies, la clause de non-concurrence n’est pas valable.
Clause de non-concurrence du dentiste collaborateur et contrepartie financière
Dernier point important : il n’est pas obligatoire d’inclure une contrepartie financière à la clause de non-concurrence dans un contrat de collaboration libérale, contrairement à ce qui se fait dans les contrats de travail. Si aucune contrepartie financière n’est indiquée dans le contrat, cela n’invalide donc pas la clause de non-concurrence. L’Ordre reconnaît sa licéité mais attire l’attention des différentes parties (dentiste collaborateur et titulaire) sur le risque que comporte l’impossibilité pour le collaborateur de se constituer sa propre patientèle : cela pourrait obliger le titulaire à requalifier son contrat de collaboration libérale en contrat de travail.
En conclusion, la clause de non-concurrence dans les contrats de collaboration libérale, assortie d’un inventaire régulier des clients, permet de limiter le risque de litiges lors de la séparation entre le chirurgien-dentiste et son collaborateur. Il est entendu, bien sûr, que le collaborateur doit s’abstenir de tout acte de concurrence déloyale envers le titulaire et que le titulaire doit faciliter le rétablissement de son ancien collaborateur en précisant dès le départ dans le contrat les modalités de sortie : par exemple, le collaborateur pourrait être autorisé par le titulaire à faire figurer ses nouvelles coordonnées sur une plaque de transfert à l’entrée du cabinet, pendant une période sur laquelle les deux confrères doivent s’entendre.
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*Source : DGE, Les chirurgiens-dentistes et le contrat de collaboration libérale