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Prise en charge des affections de longues durées : des économies en vue ?

ALD : des économies en vue ?

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En juin 2024, l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales ont établi la revue des dépenses relatives aux ALD (Affections de Longues Durées) proposant au travers d’un rapport une réforme profonde du dispositif, visant à la fois des économies rapides et une transformation structurelle de ce système.

Ce rapport, met en lumière les défis posés par le coût croissant des ALD, qui concernent 13,7 millions de personnes, soit 20 % de la population française, en 2021.

Ce rapport commandé par la Première ministre Elisabeth BORNE, est une base de réflexion pour les décideurs politiques. Sa mise en application dépendra des arbitrages gouvernementaux et des discussions dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Ces propositions s’inscrivent dans un cadre de réforme nécessaire pour assurer la pérennité et l’équité du dispositif ALD, face aux défis financiers et démographiques futurs.

Les caractéristiques actuelles du dispositif ALD

Le dispositif ALD permet aux personnes atteintes de pathologies graves et coûteuses d’accéder à une prise en charge renforcée, principalement par l’exonération du ticket modérateur pour les soins liés à leur affection. Actuellement, 29 affections (cf. Tableau en fin d’article) sont spécifiquement définies dans la liste ALD, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires et les affections psychiatriques, qui représentent 75 % des ALD. En dehors de cette liste, d’autres pathologies peuvent être qualifiées en ALD sous certaines conditions de gravité et de coût.

 

Le ticket modérateur

Le ticket modérateur désigne la part des frais de santé qui reste à la charge de l’assuré après le remboursement par l’Assurance Maladie. En d’autres termes, c’est le montant que le patient doit payer pour ses soins médicaux, une fois que la Sécurité sociale a effectué sa part de remboursement.

Fonctionnement

  • Calcul: Le ticket modérateur est calculé en fonction d’un pourcentage de la base de remboursement (BR) fixée par la Sécurité sociale. Par exemple, si le tarif d’une consultation est de 25 € et que l’Assurance maladie rembourse 70 %, le ticket modérateur sera de 30 % de ce montant, soit 7,50 €
  • Exonérations: Certaines personnes peuvent être exonérées du ticket modérateur, notamment les femmes enceintes à partir du sixième mois de grossesse ou les bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire

 

Le dispositif assure une protection notable contre les restes à charge élevés et le renoncement aux soins, en particulier pour les plus malades et les plus modestes.

Le coût pour les finances publiques a atteint 12,3 milliards d’euros en 2021, dont 11,3 milliards pour l’exonération du ticket modérateur.

Les limites du dispositif actuel

Le rapport souligne que le système actuel, peu modifié depuis 1986, est devenu à la fois inefficace et inéquitable. Bien que l’extension progressive de la liste des ALD ait permis d’inclure un plus grand nombre de pathologies, elle a également généré des disparités entre assurés en ALD et assurés de droit commun. Ces disparités s’expliquent par des critères de reconnaissance parfois imprécis ou variables, en fonction des pathologies. En outre, la subjectivité dans l’appréciation médicale et l’hétérogénéité des pratiques de contrôle d’une région à l’autre créent des inégalités territoriales dans l’accès au dispositif. Ainsi, deux patients atteints de pathologies similaires peuvent bénéficier d’une prise en charge différente selon leur localisation géographique ou l’interprétation des critères par leur médecin.

De plus, le dispositif n’incite pas suffisamment à la maîtrise des dépenses de santé, notamment en matière de prévention. En effet, le rôle du patient dans la gestion de sa maladie est sous-exploité. Une meilleure prévention et un suivi personnalisé des patients permettraient de réduire les complications et, par conséquent, les coûts liés à la prise en charge des maladies chroniques. En engageant davantage les patients dans leur parcours de soins, il serait possible de limiter l’aggravation de certaines pathologies et d’alléger ainsi la charge financière pour la Sécurité sociale.

Par ailleurs, le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques posent un problème de soutenabilité financière à moyen terme. Actuellement le traitement des maladies chroniques est davantage basé sur le curatif que sur le préventif. Davantage de prévention mènerait à d’avantage d’économie de coûts de santé.

Les pistes d’économies à court terme

Plusieurs mesures ont été envisagées pour générer des économies à court terme, dès 2025, allant de 540 millions à 870 millions d’euros en 2025, et jusqu’à 3,4 milliards d’euros en 2027.

Ces mesures incluent notamment :

La réforme structurelle préconisée

La mission propose une refonte du dispositif, avec l’introduction de deux niveaux de reconnaissance en ALD :

Cependant, à ce stade, il n’y a pas encore de liste précise des pathologies qui seraient classées en « Niveau 1 » ou « Niveau 2 ». L’idée derrière cette proposition est de mieux adapter la prise en charge en fonction de la gravité de la maladie et des coûts associés, tout en recentrant le dispositif sur des actes préventifs pour les affections de « Niveau 1 ». La mise en place de ces deux niveaux nécessiterait un travail supplémentaire de classification par les autorités de santé, notamment la Haute Autorité de Santé (HAS).

Ce système à deux niveaux pourrait générer des économies de 0,4 à 0,6 milliard d’euros, tout en renforçant la prévention et le suivi des patients. La réforme nécessiterait un pilotage resserré, impliquant le ministère de la Santé, la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’Assurance Maladie, et concernerait entre 3 et 4,2 millions d’assurés.

Scénario alternatif : le bouclier sanitaire

Un autre scénario étudié par le rapport consiste à remplacer le régime des ALD par un mécanisme de plafonnement des restes à charge pour l’ensemble des assurés, souvent appelé « bouclier sanitaire ». Ce système, inspiré de pratiques internationales, vise à limiter les restes à charge en fixant un plafond annuel au-delà duquel l’Assurance Maladie prendrait en charge toutes les dépenses de santé. Contrairement au système actuel, qui offre une exonération totale des frais liés aux affections de longue durée, ce mécanisme bénéficierait à l’ensemble des assurés, sans distinction de pathologie.

L’idée d’un bouclier sanitaire présente plusieurs avantages. D’abord, elle simplifierait le système en unifiant les règles d’exonération, supprimant la complexité des critères actuels pour être reconnu en ALD. Les assurés n’auraient plus besoin d’obtenir cette reconnaissance pour bénéficier d’une protection contre les frais de santé élevés. En outre, cela rendrait la prise en charge plus lisible et transparente, évitant certaines des iniquités liées à l’ALD, comme les disparités territoriales ou les différences d’appréciation médicale pour l’attribution du statut ALD.

Cependant, la mise en place d’un tel système poserait des défis majeurs. Selon les paramètres choisis, notamment le niveau du plafond et les modalités de calcul (prenant ou non en compte les revenus des assurés), ce système pourrait désavantager une majorité des assurés actuellement en ALD. En effet, les patients bénéficiant du régime ALD sont souvent confrontés à des pathologies lourdes et chroniques, avec des coûts de traitement très élevés. Or, dans un système de bouclier sanitaire, la couverture des frais ne serait totale qu’une fois le plafond atteint, ce qui pourrait signifier que ces patients auraient à supporter une part de leurs dépenses de santé, contrairement au système actuel qui exonère totalement les soins liés à l’ALD.

D’après les simulations du rapport, si un plafonnement des restes à charge était fixé à 1 000 euros par an, 82 % des assurés en ALD seraient perdants par rapport à leur prise en charge actuelle. Ce scénario aurait donc des effets redistributifs complexes : il bénéficierait à des patients moins gravement malades, tout en imposant une charge financière plus lourde à ceux qui, aujourd’hui, sont exonérés du ticket modérateur pour des soins liés à leurs affections de longue durée. Cela pourrait aussi réduire la nécessité pour les assurés de souscrire à une complémentaire santé, car les restes à charge seraient plafonnés pour tout le monde, mais cela pourrait entraîner une hausse des dépenses de santé pour l’État si le plafond est fixé trop bas.

Par conséquent, bien que le bouclier sanitaire soit une option qui simplifierait le système de remboursement et éviterait certaines inégalités, il risquerait de compromettre la protection des patients les plus vulnérables, actuellement bien couverts par le régime ALD. Une telle réforme nécessiterait une réflexion approfondie sur les conséquences sociales et financières pour les différents types d’assurés.

Sources et références

 

La liste des Affections de Longue Durée (ALD) est définie par l’article D. 160-4 du Code de la sécurité sociale :

1.       accident vasculaire cérébral invalidant ;

2.       insuffisances médullaires et autres cytopénies chroniques ;

3.       artériopathies chroniques avec manifestations ischémiques ;

4.       bilharziose compliquée ;

5.       insuffisance cardiaque grave, troubles du rythme graves, cardiopathies valvulaires graves ; cardiopathies congénitales graves ;

6.       maladies chroniques actives du foie et cirrhoses ;

7.       déficit immunitaire primitif grave nécessitant un traitement prolongé, infection par le virus de l’immuno- déficience humaine ;

8.       diabète de type 1 et diabète de type 2 ;

9.       formes graves des affections neurologiques et musculaires (dont myopathie), épilepsie grave ;

10.   hémoglobinopathies, hémolyses, chroniques constitutionnelles et acquises sévères ;

11.   hémophilies et affections constitutionnelles de l’hémostase graves ;

12.   maladie coronaire ;

13.   insuffisance respiratoire chronique grave ;

14.   maladie d’Alzheimer et autres démences ;

15.   maladie de Parkinson ;

16.   maladies métaboliques héréditaires nécessitant un traitement prolongé spécialisé ;

17.   mucoviscidose ;

18.   néphropathie chronique grave et syndrome néphrotique primitif ;

19.   paraplégie ;

20.   vascularites, lupus érythémateux systémique, sclérodermie systémique ;

21.   polyarthrite rhumatoïde évolutive ;

22.   affections psychiatriques de longue durée ;

23.   rectocolite hémorragique et maladie de Crohn évolutives ;

24.   sclérose en plaques ;

25.   scoliose idiopathique structurale évolutive ;

26.   spondylarthrite grave ;

27.   suites de transplantation d’organe ;

28.   tuberculose active, lèpre ;

29.  tumeur maligne, affection maligne du tissu lymphatique ou hématopoïétique.