« La femme, c’est l’horloge de la vie » Interview Dr Mouly
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Le Dr Michel Mouly exerce depuis 35 ans la gynécologie, l’obstétrique, la chirurgie gynécologique et cancérologique. Il s’est ainsi constitué un véritable observatoire et porte un regard passionné et pragmatique sur les femmes et leur santé. Il s’évertue à éveiller le grand public comme les professionnels de santé ou les politiques sur les nombreux combats que la femme doit mener dans sa vie, notamment au passage de la ménopause au sujet de laquelle il vient de consacrer l’ouvrage « Ménopause : tout peut changer » aux Éditions Robert Lafont.
GPM : à l’origine, qu’est ce qui a motivé votre choix pour la gynécologie et la chirurgie ?
Dr Michel Mouly : pour moi, la femme tient une place plus qu’essentielle dans notre société. J’ai fait de la gynécologie parce que je le voulais. Vous voyez cette toile accrochée au fond de mon bureau ? C’est une femme qui l’a peinte. Elle s’appelle L’horloger. L’horloger, c’est moi, parce que je lui ai sauvé la vie, parce que j’ai réussi à régler sa vie. La femme, c’est l’horloge de la vie. Elle donne naissance et va malheureusement aussi vers la mort, parfois prématurément. Beaucoup plus que l’homme, la femme franchit des étapes dans sa vie qui sont des combats et la rendent souvent plus sensible aux questions de santé. Je fais de l’obstétrique, de la chirurgie gynécologique et cancérologique, je connais toutes ces étapes de la vie d’une femme au cours desquelles on peut intervenir, faire du bien et de la prévention.
GPM : la femme est aussi la principale gestionnaire de la santé de la famille.
Dr M. M : voilà ! Je vous le répète, les femmes sont des organisatrices, elles portent beaucoup sur leurs épaules. En revanche, je m’inquiète de la tendance à la « superwoman » qui veut tout faire et surtout tout bien faire et qui se tue à la tâche, s’épuise. Et tout cela en affrontant une ménopause à 50 ans, vous imaginez ? Et qui plus est, une ménopause non traitée ! Car 450 000 nouvelles femmes sont ménopausées chaque année, mais seules 5% reçoivent un traitement hormonal adapté. Mais, comment font-elles ? C’est un péril sanitaire.
GPM : les femmes en période de ménopause ne sont-elles pas un peu responsables d’une certaine négligence de leur suivi gynécologique ?
Dr M. M : ce n’est pas elles ! On leur a fait peur. Avec mes patientes, en consultation, je prends le temps, et surtout je fais de la prévention le plus tôt possible. J’ai la réputation d’être un peu ferme « Faites attention ! Laissez tomber ceci, faites cela… » mais je pense être bien reçu et compris car elles savent que j’agis pour qu’elles se sentent bien et pour longtemps.
Il y a encore peu, on estimait qu’une femme de 50 ans était « vieille ». Maintenant, à 50 ans une femme est jeune. Sachant qu’elle va vivre en moyenne jusqu’à 85 ans (DREES N°1258-2023), notre challenge, et celui de la société, c’est de faire en sorte qu’à 60, 70, 80 ans, une femme soit en forme, vive chez elle et qu’elle rentre le plus tard possible en milieu médicalisé, si elle doit y rentrer.
GPM : beaucoup de femmes vivent isolées. C’est une différence notable avec les hommes : statistiquement, leur espérance de vie est plus longue, mais elles finissent souvent seules et avec des incapacités.
Dr M. M : j’appelle ça l’effet boomerang. Pourquoi ? Tout est affaire d’hormones. Comparez une jeune fille de 13 ans et un garçon de 13 ans, la différence est marquée. Par quoi ? Par l’arrivée des hormones chez la fille. Elle est mature, elle est structurée, elle sait ce qu’elle veut faire. Elle est déjà une femme. Dans cette même tranche d’âge, nous les garçons, nous serons à peine 20% à être un peu « intelligents », on a clairement un retard de maturité. Les filles de 15, 16 ans, qui sont quasiment des femmes, peuvent se sentir prêtes à se stabiliser. Les garçons pas vraiment… Et les hommes, inversement, plus tard à la cinquantaine, ne subiront même pas d’andropause (à peine 10%), tandis qu’aucune femme n’échappe à la ménopause. Et à ce moment de leur vie, les hommes se sentent plutôt en pleine vitalité, mûrs pour refaire leur vie.
GPM : vous venez de publier l’ouvrage « Ménopause, tout peut changer » : en quoi le traitement hormonal apporte-t-il des réponses ?
Dr M. M : je vais vous répondre par une expérience personnelle. Mon frère, médecin généraliste, m’a longtemps traité de quasi criminel : en prescrivant des hormones, je provoquais des cancers ! Ce n’est que très récemment, du haut de ses 68 ans et du recul sur ses patientes du même âge qu’il admet : « je fais maintenant la différence entre celles qui ont été traitées et celles qui ne l’ont pas été. Quand les problèmes rhumatismaux ou l’ostéoporose sont en place, je reconnais qu’on vient trop tard, qu’on aurait dû prévenir. Idem pour les maladies cardiovasculaires. »
Toutes ces pathologies, y compris le cancer, puisque même pour le cancer du sein, les études montrent que notre traitement hormonal, c’est-à-dire le traitement à l’européenne (NDLR différent du traitement américain à base d’hormones de synthèse), réduit la mortalité de 50% par rapport à une femme qui ne prend rien. Vous vous rendez compte ? Le risque ça n’est pas de provoquer le cancer, mais plutôt un risque positif de le révéler à un stade précoce car nous suivons de près les femmes sous THS, nous sommes dans la prévention et la vigilance.
Je fais partie de ceux qui suggèrent à la Haute Autorité de Santé de revoir sa copie sur le traitement hormonal de la ménopause qui date de 2014, alors que même les Américains ont publié fin 2022 qu’il fallait prescrire les traitements à l’européenne (bio-identiques) dès le début pour prévenir les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose et améliorer la qualité de vie des femmes.
GPM : donc, pouvez-vous nous détailler les conséquences potentielles négatives de la ménopause, en particulier non traitée ?
Dr M. M : bien entendu, une femme non traitée ne va pas développer toutes les pathologies. On minimise les bouffées de chaleur, pourtant elles peuvent être l’entrée dans les maladies cardiovasculaires, puisque les œstrogènes protègent contre l’athérome et le risque cardiovasculaire et que leur taux chute à la ménopause.
En luttant contre les sueurs nocturnes, on offre une protection contre le diabète de type 2. Et on sait que le nombre de diabétiques de type 2 va crescendo chez la femme.
La période de préménopause, dite de vulnérabilité, donne souvent naissance à des troubles de l’humeur, des sensations de brouillard cérébral qui peuvent signer les prémices d’une future dépression, en les surveillant nous y sommes attentifs.
Les douleurs musculaires et articulaires, on croit que ce n’est pas grave. Mais non, elles sont liées à l’absence d’œstrogènes et peuvent faire glisser vers l’ostéoporose. Une femme sur 3 ou 4, après 50 ans, aura une fracture ostéoporotique. Une femme sur 5 de 55 ans ou plus, victime d’une fracture du col du fémur va décéder dans l’année qui suit (Drees janvier 2016). Et 50% de ces femmes qui auront une fracture du col du fémur subiront une diminution très nette de leur périmètre de marche. Vous imaginez ? C’est le début de la fin !
Je pourrais mentionner aussi la maladie d’Alzheimer. Les études ont montré, y compris américaines, que lorsqu’on on traitait tôt, c’est-à-dire dès le début avec les hormones à l’européenne, on réduisait de 30 à 45% la survenue de démence. Il n’y a pas photo.
GPM : certains pensent que les interventions du gynécologue dans la ménopause ne relèvent que du confort ? Qu’en pensez-vous ?
Dr M. M : ce que certains considèrent comme des troubles supportables et passagers font souvent le lit de futures pathologies comme je vous le décrivais plus haut. La bouffée de chaleur, c’est la partie émergée de l’iceberg. Oui, elle va finir par disparaître d’elle-même, mais la partie immergée, ce sont les maladies cardiovasculaires, etc. etc.
Parlons sécheresse vaginale, un des désagréments de la ménopause – et pas des moindres – et parfois aussi la conséquence directe de traitements contre le cancer. Pour y remédier, j’ai introduit en France le laser vaginal, qui permet une réjuvénation des muqueuses. J’ai même réussi à l’implanter à l’Institut Gustave Roussy où j’ai travaillé pendant 15 ans. Ça veut dire quoi de traiter la sécheresse vaginale ? Moins de souffrances physiologiques et psychologiques avec un retour possible aux rapports sexuels, à une vie amoureuse et un équilibre conjugal, une nouvelle confiance en soi et donc moins d’isolement. C’est ce que j’appelle un soin de support et pas un soin de confort.
GPM : support, ça veut dire soutien. Vous estimez que les femmes ont suffisamment accès aux soins de support ?
Dr M. M : en cancérologie du sein, on a réussi à faire rembourser en partie les prothèses, les perruques. Mais pour l’instant, beaucoup d’autres soins de support restent à la charge de la patiente. Pour les tatouages après une mastectomie, le yoga, l’activité physique et d’autres formes de soutien comme l’art thérapie, il n’y a pas de participation financière, sauf exception et à l’initiative d’acteurs privés.
Nous pouvons aider les femmes qui subissent les méfaits de la ménopause. Ce n’est pas du confort, c’est une manière de redonner des aptitudes. Parce qu’une femme qui a de l’énergie, une femme qui a de l’envie, une femme qui est positive, c’est une femme qui va guérir mieux, plus rapidement, qui va mieux se comporter.
GPM : avec le recul, qu’avez-vous vu évoluer dans la santé globale des femmes, en particulier dans votre spécialité ?
Dr M. M : je constate à regret que certaines femmes sont en train de s’autodétruire. Pour commencer, les Françaises fument beaucoup. Elles ne font pas assez d’activité physique. Elles ont des enfants très tard, avec de fréquents problèmes d’infertilité qui entraînent des traitements lourds.
Depuis 35 ans que j’exerce, je dispose d’un observatoire humain. Il m’arrive parfois de voir en première consultation des femmes d’une cinquantaine d’années dont l’état est catastrophique, qui réclament littéralement de l’aide. Pour finir, leur vie professionnelle, leur vie personnelle, et leur santé, plus rien ne va.
Les parents, les mères poussent leurs filles à se surpasser et les élèvent dans l’idée qu’elles doivent être indépendantes financièrement. Et les jeunes femmes s’engouffrent avec pugnacité dans cette voie. Quand vous êtes dans une course, vous allez jusqu’au bout : vous adoptez des comportements parfois excessifs (fumer, sortir, boire) comme les hommes, vous attendez le plus tard possible pour avoir des enfants…
Mais comment tout mener de front ? Notre société actuelle épuise les femmes.
Je vois d’un œil favorable de verser un soutien financier à celui de la mère ou du père qui ferait le choix de plutôt se consacrer à la maison.
Et pourquoi aussi ne pas favoriser des formes originales de travail comme le time-sharing : des binômes de femmes qui se répartissent un même poste ? 2 jours chacune en autonomie, un jour partagé de transmission par exemple.
Ce qui compte c’est le pragmatisme. Quand on est pragmatique, on va vers le progrès obligatoirement. Un chirurgien doit être pragmatique. Le médecin a des réflexes d’adaptation. C’est ça la force de l’être humain. Qu’il soit homme ou femme.
GPM : que conseillez-vous à un ou une jeune qui veut se tourner vers la gynécologie ?
Dr M. M : j’ai été chef de clinique assistant à l’Institut Gustave Roussy pendant 15 ans, premier centre de lutte contre le cancer en Europe. Et aussi, chef de clinique à l’hôpital Cochin centre d’excellence en gynécologie. J’ai eu la chance d’être bercé par des maîtres et de faire du compagnonnage et d’échanger avec mes pairs. La réduction du temps travail dans les établissements de santé et le tout numérique entravent selon moi le compagnonnage. Il y a moins d’humanité, moins de temps et de volonté pour la transmission. Les gynécologues de maintenant sont numérisés, ils ont moins d’analyse clinique. C’est gênant. Heureusement qu’il y a encore des humains.
J’aimerais dire aux jeunes : avant de prescrire des examens, faites de la sémiologie, retournez à la base, on a perdu le bon sens clinique ! On est dans une surconsommation médicale d’examens.
J’aimerais leur rappeler également que la femme est un tout, et qu’il y a donc un avantage à ne pas se limiter à une discipline ; on peut s’intéresser en même temps à la consultation, à la chirurgie, à la cancérologie, à l’hormonologie. Je suis heureux depuis 2004-2005 de contribuer au développement du THM et d’avoir mis l’accent sur l’étude E3N qui a remis les pendules à l’heure sur les traitements de la ménopause.
GPM : et sur la santé des femmes en général que suggérez-vous aux politiques ?
Dr M. M : je suggère d’améliorer la culture générale des jeunes sur la santé humaine en en faisant par exemple une matière évaluée au niveau du brevet. Cet enseignement serait l’occasion d’introduire les notions de prévention auprès des collégiens puis des lycéens.
Par ailleurs, comme les gynécologues manquent ou se tournent trop vers des secteurs lucratifs comme la médecine reproductive, je propose de créer des structures centrées sur la ménopause où exerceront des infirmières et des sages-femmes « performées » à la prise en charge de la ménopause. Des traitements de la ménopause, il n’y en a pas 100, il y a surtout des circonstances à bien connaître et à partir de là la surveillance est facilitée. Ces centres seraient équipés en appareils adéquats (échographies, densitométrie osseuse, scanner coronaire…) et coordonnés par un médecin responsable qui se préoccuperait des questions liées au diabète, à l’hypertension…
On peut même imaginer qu’à ces structures seraient rattachés des nutritionnistes, des enseignants en activité physique, des professeurs de yoga…
Bref, je suis pour une vision globale et transverse de la santé de la femme.
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