La santé mentale des jeunes filles se dégrade
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Réseaux sociaux omniprésents, bascule vers l’intelligence artificielle, environnements anxiogènes, stigmatisation… Ces changements ne sont pas sans impact sur la santé des adolescentes à une période de leur vie connue pour être délicate et marquée par des bouleversements physiques et émotionnels. Le bien-être mental est particulièrement concerné et laisse apparaître des signes préoccupants de vulnérabilité.
La Fondation de l’Académie de Médecine (Fam) a récemment organisé une conférence dans le cadre de son Cycle Santé des Femmes, autour de l’adolescence. Cet événement, conçu pour sensibiliser le grand public aux enjeux essentiels de la santé publique, s’est concentré sur trois thématiques majeures : la sphère gynécologique avec un accent sur la contraception, la santé mentale, et la prévention. Cette initiative a permis de proposer des pistes d’amélioration pour renforcer la prise en charge de la santé des adolescentes et la prévention.
Santé mentale : une urgence amplifiée par la Covid-19
A la suite de la pandémie, la santé mentale des jeunes s’est dégradée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Avant la crise sanitaire, environ 8 % des jeunes souffraient de troubles psychologiques. Depuis, ce chiffre a grimpé à 10-12%, illustrant une hausse alarmante de détresse mentale, et ce particulièrement chez les jeunes filles.
L’augmentation des cas de dépression, d’automutilation, et de troubles du comportement alimentaire (TCA) chez les adolescentes témoigne de la nécessité d’un meilleur diagnostic et d’un dépistage plus rapide de ces problèmes. Ce fléau, déjà inquiétant, touche particulièrement les filles, qui sont 35 % plus affectées que les garçons. Les TCA, en particulier, touchent de plus en plus jeunes les adolescentes, souvent exacerbées par des traumatismes sexuels. Ainsi, la nécessité d’une meilleure sensibilisation et de ressources adaptées pour ces jeunes est d’autant plus pressante.
En réponse à ces enjeux, la conférence a préconisé la formation des médecins généralistes, souvent en première ligne, et l’instauration de consultations dédiées à la santé mentale des jeunes.
Santé sexuelle et reproductive : vers une meilleure contraception
La Dre Danielle Hassoun, gynécologue et responsable d’un centre IVG à l’hôpital de la Fontaine à Saint-Denis, est en pole position pour témoigner de l’évolution de la santé sexuelle et reproductive chez les adolescentes. Cette santé sexuelle est dépendante des législations qui, selon elle, facilitent plus ou moins l’accès aux soins pour un public jeune qui à la base est peu au fait des parcours de soin. C’est pourquoi, la Dre Hassoun insiste d’autant plus sur l’importance de l’écoute accordée à ces jeunes adolescentes et sur le rôle essentiel de l’école dans l’éducation à la vie sexuelle et affective.
Aujourd’hui, alors que l’âge moyen du premier enfant recule significativement à 31 ans, tandis que l’âge des premiers rapports sexuels est en moyenne de 17 ans, l’accès à des moyens de contraception efficaces ou le recours à l’interruption volontaire de grossesse, représentent un enjeu crucial pour les jeunes générations. Dans cette optique, des évolutions législatives ont été mises en place, permettant depuis 2001 l’accès à l’IVG pour les mineures sans consentement parental. De plus, depuis janvier 2022, les moyens de contraception sont désormais gratuits jusqu’à 25 ans. Des changements d’usage sont constatés comme le recours plus fréquent au dispositif intra utérin.
L’approche des questions concernant la sexualité revêt une importance capitale, car, comme le souligne la gynécologue, « la santé sexuelle repose aussi sur un environnement qui la valorise et la promeut ».
En effet, l’éducation à la santé sexuelle reste inégale en France. Bien que la loi impose trois séances annuelles d’éducation sexuelle dans les écoles, la mise en application dépend souvent de la bonne volonté des enseignants. Les nouveaux phénomènes, comme l’accès sans contrainte et immédiat à la pornographie ou la cybersexualité, exigent une réponse pédagogique plus adaptée et une bonne utilisation des nouvelles technologies pour toucher les jeunes là où ils sont les plus réceptifs.
La vaccination contre le HPV : un défi de santé publique
Depuis ces dernières années, la vaccination contre le Papillomavirus (HPV), responsable des cas de cancer du col de l’utérus, représente également un gros enjeu sanitaire. Bien que la France ait été pionnière en introduisant cette vaccination en 2007, la couverture vaccinale reste insuffisante avec seulement un peu plus de 50 % des jeunes filles vaccinées en 2023. Ce chiffre reste loin de l’objectif fixé par le plan cancer français d’atteindre 80 % de couverture vaccinal.
Des études récentes ont montré que la vaccination précoce, dès l’âge de 11 ans, permet d’éviter jusqu’à 90 % des cas de cancer du col de l’utérus. La conférence a mis en lumière l’importance d’un environnement sociétal favorable à la prévention, mais aussi la nécessité d’une meilleure écoute des jeunes, un point souvent négligé. Les professionnels de santé et les enseignants doivent être mieux formés pour répondre aux besoins des adolescents, souvent délaissés dans les premières consultations médicales.
La vision négative des jeunes dans la société française
La Pre Marie-Rose Morro, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des adolescents de l’hôpital Cochin AP-HP Paris, intervenant sur la perception des jeunes par la société, a fait remarquer que le discours sombre sur l’avenir par leurs aînés pèse sur les plus jeunes. Le niveau de souffrance chez les jeunes Français est même bien plus élevé que dans des pays voisins tels que l’Espagne, l’Italie ou la Finlande. En particulier, les jeunes filles sont davantage touchées.
Le manque de bienveillance et de compréhension de la part des adultes renforce le sentiment de solitude, et les plaintes des jeunes filles ne sont pas suffisamment prises au sérieux. Cette sous-estimation des souffrances exprimées peut entraîner un retard de diagnostic et une prise en charge tardive, augmentant le risque de chronicité des problèmes de santé mentale.
Une étude canadienne révèle ainsi que les jeunes filles doivent consulter en moyenne trois professionnels avant d’être écoutées, contre deux pour les garçons. Cette situation renforce alors le risque de passage à l’acte en matière de troubles mentaux, de violence sexuelle ou de tentatives de suicide.
Former pour mieux prendre en charge
Pour couvrir l’ensemble de ces enjeux, une meilleure formation des professionnels de santé et de l’éducation et de meilleures structures de soins s’avèrent nécessaires. En effet, il semble essentiel de renforcer les capacités des médecins, des enseignants, et des professionnels sociaux pour mieux comprendre les attentes des jeunes et les prendre davantage au sérieux. Des initiatives comme celles menées par des associations (ex : Le CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes concernant les mineurs), le Planning Familial) ou des supports éducatifs créés par les jeunes eux-mêmes (ex : sur la méningite) sont des outils puissants pour sensibiliser et éduquer à la prévention.
De même, l’utilisation des réseaux sociaux peut être perçue comme une voie efficace pour bien cibler des messages de prévention destinés aux jeunes, en exploitant leurs modes de communication habituels.
Mieux prendre en compte les besoins des jeunes
La conférence de la Fondation de l’Académie de Médecine a permis de souligner l’urgence d’adapter la prise en charge des jeunes, tant au niveau de leur santé mentale que sexuelle. La société a besoin d’évoluer vers une approche plus empathique, en s’appuyant sur des professionnels mieux formés et des outils de prévention adaptés aux nouvelles générations.
Sensibiliser, écouter et éduquer sont les clés d’un avenir en meilleure santé pour la jeunesse d’aujourd’hui.