Télésoin, coordination… les nouveaux rôles du pharmacien
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Depuis la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009, les missions du pharmacien d’officine se sont diversifiées. Outre la dispensation des médicaments, son rôle d’accompagnement du patient s’est affirmé. Le point* avec Gilles Bonnefond, ancien président délégué de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (UPSO). |
Groupe Pasteur Mutualité : A quel moment le rôle du pharmacien d’officine a-t-il commencé à évoluer ?
Gilles BONNEFOND : La date clef est la loi Bachelot de 2009 où pour la première fois le législateur définit « positivement » dans le Code de la santé publique la participation du pharmacien au système de santé. Auparavant, l’unique définition reposait sur la dispensation des médicaments, puisqu’il était écrit que seul le pharmacien avait le droit d’accomplir cette mission.
Depuis la loi de 2009, les missions socles du pharmacien d’officine ont été définies. Parmi elles : contribuer aux soins de premier recours, participer à la coopération entre professionnels de santé, à la mission de service public de la permanence des soins, concourir aux actions de veille et de protection sanitaire organisées par les autorités de santé ou encore être désignés comme correspondants au sein de l’équipe de soins par le patient ou référent dans les Établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
« Nous constatons une évolution réelle du rôle du pharmacien. […] Il travaille sur l’accompagnement, la sécurité, le suivi du patient en complément du médecin, de l’infirmier et de l’hôpital. »
GPM : Deux autres avancées sont les entretiens pharmaceutiques et le bilan de médication. En quoi consistent ils ?
G.B : La loi et la convention pharmaceutique de 2012, nous ont effectivement reconnu la possibilité de participer à l’éducation thérapeutique et aux actions d’accompagnement de patients asthmatiques ou sous anticoagulants avec les entretiens pharmaceutiques. Ils se déroulent dans un espace de confidentialité dédié, à la pharmacie d’officine ou au domicile du patient lorsqu’il ne peut pas se déplacer. Nous serons amenés à accompagner les patients sous anticancéreux oraux. Avec cet entretien pharmaceutique, l’objectif est d’aider les patients dans leur traitement, d’évoquer avec eux les effets secondaires éventuellement constatés et décider, si besoin, de soins de support pour mieux les supporter. Ces missions montrent l’évolution de notre convention, qui a été pendant longtemps une convention « tiers payant » et non une convention « métier », dans nos relations avec l’Assurance maladie.
Le douzième avenant à notre convention pharmaceutique, entré en vigueur le 17 mars 2018, nous a par ailleurs permis d’introduire le bilan de médication. Il concerne les plus de 65 ans souffrant d’au moins une affection de longue durée (ALD) ou toute personne âgée de 75 ans et plus, bénéficiant de traitements pour lesquels au moins cinq molécules sont prescrites pour une durée de six mois. L’objectif essentiel est de lutter contre la iatrogénie, mais aussi de répondre aux interrogations des patients et de les aider dans l’administration de leur traitement pour favoriser l’observance.
Nous constatons une évolution réelle du rôle du pharmacien. Il n’est plus uniquement le professionnel de santé qui va distribuer les boîtes de médicaments. Il travaille sur l’accompagnement, la sécurité, le suivi du patient en complément du médecin, de l’infirmier et de l’hôpital. Ces évolutions nous ont pleinement satisfaits car jusqu’à présent, tout nous était contesté. Le fait d’avoir misé sur le pharmacien nous a permis de montrer que nous étions efficaces.
GPM : Quelles sont vos relations avec les autres professionnels de santé ?
G.B : Elles n’ont pas toujours été simples. Par exemple notre droit de substitution sur la gestion du générique a provoqué de nombreux mécontentements de la part de l’industrie pharmaceutique, des grossistes ou encore des médecins. Nous sommes cependant parvenus à faire accepter le générique à la population.
Néanmoins, contrairement à ce qui est dit dans les médias, les conflits sur le terrain n’existent pas ou alors peu. Si nous prenons l’exemple de la vaccination souvent relatée dans les médias, les conflits avec les médecins et les infirmières libérales sont rares. Certains d’entre eux sont dépassés par leur activité. Avec cette nouvelle compétence qui nous a été accordée, nous permettons à des personnes qui n’arrivent pas à avoir de rendez-vous chez leur professionnel de santé de se faire vacciner. Nous sommes présents pour prendre le relai (ndlr : interview réalisée avant la crise sanitaire).
« Aujourd’hui, un professionnel de santé qui prétend travailler seul n’a pas compris la complexité du système de santé. »
GPM : Votre rémunération a elle aussi évolué…
G.B : Tout à fait. Jusqu’en juillet 2017, nous étions payés à la marge commerciale, en fonction du volume et des prix des médicaments. En 2017, l’avenant 11 à notre convention a introduit la notion d’honoraire à l’ordonnance, permettant au pharmacien d’officine d’être en cohérence avec les actions qu’il mène vis-à-vis des patients pour réduire le recours aux médicaments.
Le pharmacien d’officine accomplit un travail de renfort avec le médecin et l’infirmier, afin de travailler sur l’adhésion au traitement, à l’observance ou encore sur les précautions d’utilisation vis-à-vis du patient. La complémentarité entre nos métiers est réelle. Elle permet la sécurité des patients. Aujourd’hui, un professionnel de santé qui prétend travailler seul n’a pas compris la complexité du système de santé. La coopération permet de fluidifier l’information notamment avec la messagerie sécurisée et de faire gagner du temps à tout le monde.
« Nous sommes face à une centaine de fermetures par an […] C’est notamment pour faire face à de telles situations que se mettent en place des outils comme la télémédecine. »
GPM : Qu’en est-il de la pérennité des officines ?
G.B : Nous sommes face à une centaine de fermetures par an principalement dans les zones où les officines sont en grand nombre, et dans celles, plus rares, où les habitants sont de moins en moins nombreux ou encore dans les territoires où il n’y a plus de médecins. C’est notamment pour faire face à de telles situations que se mettent en place des outils comme la télémédecine. Le pharmacien y participe et est rémunéré pour le faire depuis l’avenant 15 à notre convention signée le 6 décembre 2018. Il peut ainsi mettre en contact le patient venu dans son officine avec un médecin. C’est un gain de temps mais aussi d’argent, notamment pour éviter des déplacements inutiles.
GPM : Votre rôle dans ce domaine de la télémédecine va aussi être amené à évoluer avec le télésoin(1)
G.B : Effectivement, la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé de juillet 2019 acte le télésoin qui consiste, pour les pharmaciens, à accompagner un patient sur une difficulté qu’il peut rencontrer sans avoir à se déplacer à l’officine. L’objectif est de permettre à des personnes en difficulté, âgées ou en sortie d’hospitalisation avec des traitements lourds de pouvoir choisir le domicile comme lieu de prise en charge en sécurisant ce choix avec le télésoin. Les contours du télésoin vont être définis par la Haute autorité de santé. Notre challenge est d’intégrer les nouveaux outils dans notre métier pour permettre à tout le monde de gagner du temps et au patient d’avoir un échange simple.
GPM : Vous vous formez à toutes ces nouvelles compétences ?
G.B : Nous nous formons pour relever l’ensemble de nos nouvelles missions dans le cadre du Développement professionnel continu (DPC). Les facultés ont également intégré ces nouvelles stratégies pharmaceutiques, ce qui est très encourageant. L’un de mes souhaits est de faire en sorte que la coordination des soins fasse partie de la formation initiale afin d’apprendre aux professionnels de santé à mieux travailler ensemble. Nous aurons réussi lorsque nous aurons compris que la coordination fait partie de l’ADN de chaque professionnel alors qu’aujourd’hui on a encore l’impression que c’est ″quelque chose en plus″.
Note
1. D’après le chapitre III de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé , le télésoin est « une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Il met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux dans l’exercice de leurs compétences ».
Les avantages de la téléconsultation à l’officine
L’officine offre les conditions d’une téléconsultation efficace. Le pharmacien, avec technicité et discrétion, accompagne le patient dans sa téléconsultation auprès de son médecin.
- L’intervention des pharmaciens d’officine dans la téléconsultation est un recours plus fréquent dans les régions sous-dotés en médecins ;
- Professionnellement, l’aide à la téléconsultation apporte au pharmacien la satisfaction de participer à un accès plus rapide au médecin, de varier ses activités, de s’inscrire dans une véritable prise en charge complète et globale du patient.
- Le profil-type du téléconsultant : n’a pas de médecin traitant ou n’arrive pas à le voir rapidement, pour des pathologies du quotidien sans palpation et sans caractère d’urgence.
- De nombreux dispositifs sont utilisés à distance par le télémédecin : tensiomètres, otoscopes, oxymètre de pouls, etc.
- La téléconsultation n’est pas en « self-service » : le patient est guidé par le pharmacien y compris dans la consultation du DMP.
- Les données de santé sont conservées et sécurisées.
- Il y a un suivi post téléconsultation avec un rappel du patient dans les 3 jours.
- Un compte-rendu est envoyé au médecin traitant qui du coup peut prescrire des examens complémentaires.
Je découvre mon pharmacien remplaçant
*Interview réalisée en février 2020 par Laure Martin pour notre site d’information M-Soigner